Léa est une jeune femme bien de son temps, une sorte d’elfette lutine, que bon nombre de regards mâles suivent des yeux.
Sa paire de lunettes fines sur le bout de son nez mutin, son allure de liane, sa voix un peu grave à l’accent mignon, son allure agréable, lui donne un look jeune d’étudiante intellectuelle, même si elle commence un peu à dépasser l’âge requis. Comme magnifié par ses lunettes d’or, son regard sombre semble luire de mille lueurs prometteuses et ses lèvres fines brillent d’un rose tentateur.
Contrairement à la plupart de ses consœurs, elle assume joyeusement son 75A. Elle trouve ses seins mignons et fermes. Ses divers amants aussi, même si certains fantasmaient plutôt sur le 95B. Décidément, rien à jeter…
Ah si, son petit ami du moment, pardon, depuis plus de huit ans ; celui auquel elle croit, mais entre l’idéal et la réalité, il y a une marge. Léa râle souvent sur son égoïsme, mais il reste son « Namour », celui de sa vie. Enfin, elle y croit, elle l’espère…
Néanmoins, comme il a souvent dépassé les bornes, elle l’a bien un peu trompé, ci et là, avec d’autres. Elle l’a oublié pour une nuit, elle s’est oubliée. Et au petit matin, c’est elle qui a été oubliée.
Ah ça, elle n’a que l’embarras du choix pour un amant de passage. Là où elle travaille, elle surprend souvent les regards avides de convoitise des hommes et ceux courroucés des femmes. Quelque part, ça l’amuse. Parfois, c’est lassant !! Diable ! N’existe-t-il pas quelque part sur cette basse terre, un homme, un vrai, fort et protecteur qui l’aimera, elle, rien qu’elle, pour elle et dans les bras duquel elle pourra s’endormir en toute quiétude, celui avec qui elle redeviendra, parfois, une petite fille ?
Redevenir une petite fille dans sa maison de pain d’épice ! Comme dans Hansel et Gretel ; elle était folle de cette histoire, surtout de la maison, qui lui semblait alors le summum du bonheur. Le bonheur, oui, à l’époque, tout semblait si simple…
Un peu déprimée par toutes ces constatations, elle vient de finir sa journée du jeudi. Il est à présent 17 heures, dépassé de quelques minutes, elle profite du beau temps pour faire un petit tour en ville, flâner le long du lac et bénéficier de la fraîcheur des divers parcs qui bordent des allées commerçantes. Elle songe que ce soir, son « Namour » va se faire une soirée entre copains : une soirée débile à ingurgiter le plus de bières possible jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne capable de compter les survivants… Du coup, comme il ne se réveillera pas avant 7 heures du matin, au bas mot, elle ne le reverra pas avant demain soir.
Face au lac qui scintille légèrement sous le soleil, en chemise, Philippe a laissé tomber la veste qu’il tient négligemment sur son épaule. Pas à dire, il fait beau, il profite de l’ambiance locale pour de délasser, après avoir été enfermé toute la journée dans une salle de conférence lugubre. Comme il était l’un des derniers arrivés par ancienneté dans son entreprise, il avait été désigné d’office pour aller à cette série de conférences en Suisse, là-bas à 500 ou 600 kilomètres. Avant de partir, il avait pris cela comme un honneur et une fierté. La première matinée, il avait vite déchanté ! Bah, il lui reste le plaisir de visiter cette belle ville, et aussi d’admirer les gracieuses femmes en robe d’été autour de lui.
Justement, là-bas, il y en a précisément une très agréable à regarder, très mignonne et, adossé à un arbre au feuillage luxuriant, il se plaît à suivre des yeux cette jeune femme incontestablement fort charmante.
Agacée par cette foutue soirée qu’il passera loin d’elle, une de plus, Léa traverse la petite place ombragée, droit devant elle. « Espèce de sale crétin », songe-t-elle. Elle ralentit le pas et regarde le lac. Une pointe de jalousie la traverse quand elle distingue quelques couples d’amoureux sur divers bancs, à deux pas de l’eau clapotante du grand lac. Secouant la tête, elle s’éloigne.
Toujours à l’abri de l’ombrage du feuillage de son arbre, Philippe a bien remarqué quelque chose concernant la femme qu’il suit des yeux depuis un certain temps. Un bref instant, il se perd en conjectures diverses. Quand il la voit repartir, s’éloignant vers une allée piétonne, il soupire imperceptiblement.
Durant un court instant, il s’est vu l’aborder, lui proposer de prendre un verre avec elle. À sa grande surprise, il a eu la révélation d’un flash subit d’elle et lui en train de faire l’amour. C’est vrai que finalement, sa femme et lui, c’est plus vraiment ça ! Le temps et le conformisme sont passés par là et elle le rembarre souvent sous le prétexte fallacieux qu’il est un « ado attardé » dans ses sentiments pour elle. Malgré plus de dix ans de mariage, il la voit toujours comme la jeune fille étincelante dont il est resté ébloui. Comme les eaux calmes de ce lac…
Soudain, il voit la jeune femme faire demi-tour ; il écarquille grand les yeux. Il se demande bien pourquoi. Il se dit alors « Et si… »
Quand il la voit s’arrêter à vingt mètres de lui, regardant le lac, lui tournant le dos, il s’arrache doucement de son arbre, indécis. Quand elle s’éloigne, il ne sait pas s’il doit se sentir soulagé ou déçu. Quand il la voit revenir sur ses pas, il n’hésite plus !
Léa contemple à nouveau le lac, elle n’arrive pas à s’extirper de sa fascination envoûtée pour ses eaux scintillantes. Elle resterait bien là, longtemps, des heures, simplement à regarder le chatoiement des petites rides qui se dessinent sur la surface étincelante en vastes cercles concentriques. Elle a l’impression d’un vide en elle. Un grand vide…
Soudain, elle réalise une présence derrière elle. Tirée en sursaut de sa rêverie, elle se retourne prestement, tout en avançant légèrement, déséquilibrée par la violence de sa réaction. Le résultat ne se fait pas attendre, elle rentre en collision avec un homme à large carrure qui la dépasse presque d’une tête.
— Oh ! Excusez-moi, dit-elle prestement.
— Tout le plaisir fut pour moi, lui répond une voix assurée.
Elle lève la tête et découvre un visage masculin qu’elle scrute : un large sourire, des yeux clairs derrière des lunettes rectangulaires. Comme suspendue dans les airs, elle se laisse aller à le dévisager en toute simplicité : un nez droit, classique, des mèches noires et blanches folâtres, un menton assez carré, mais pas trop et, décidément, un de ces sourires ! Oui, un beau spécimen…
Oui, oui, oui, pas mal du tout, j’en ferais bien mon quatre-heures, se dit-elle tout bas. Et pourquoi, il me sourit toujours comme ça ? Il est vrai que j’y ai été de bon cœur à « faire l’inventaire » ! Et puis… Mais ?
Elle s’aperçoit que l’inconnu la serre toujours dans ses bras et qu’elle est plaquée contre son torse, elle réalise que la rencontre a été si brusque qu’elle en avait perdu l’équilibre et que cet homme l’avait retenue contre lui, aisément, sans effort.
Confuse, elle devient rouge pivoine.
— Euh… Ah hum… Vous pouvez me lâcher ? Merci…
— Vous êtes sûre ? répond la voix grave avec une légère pointe d’amusement.
— Oui, oui, je vous remercie : sans vous, je tombais, mais, là, c’est bon…
— En effet, vous étiez partie pour aller faire un petit tour au sol et ç’aurait été dommage, très dommage…
Léa se sent toute chose, elle ne sait pas bien pourquoi, mais la situation la trouble plus que de coutume. Pour se donner une contenance, et aussi pour joindre le geste à la parole, elle pose ses avant-bras sur la chemise blanche. Geste fatal : à ce simple contact, elle ressent, comme une décharge électrique, ce qui n’arrange pas son trouble grandissant !
Philippe, de son côté, malgré son apparence impassible de façade, n’en mène pas plus large. Cette femme, son corps frêle dans ses bras, son parfum, sa voix, son accent si mignon, sa présence contre lui, le chavire considérablement. Il ne la lâchera pas de sitôt !
— S’il vous plaît, dit-elle d’une petite voix.
Ému, il plonge alors dans son regard, vers ses grands yeux sombres abrités derrière ces fines lunettes aux montures d’or, où brillent des lueurs diverses si troublantes et évocatrices. Il résiste du mieux qu’il peut à l’envie furieuse de l’embrasser sur-le-champ. C’est avec ce qui lui reste de sang-froid qu’il arrive à dire :
— Je m’en voudrais de vous empêcher de continuer vos… investigations sur ma personne…
— Oh !!
Elle devient complètement cramoisie, il avait donc remarqué qu’elle le dévisageait sans vergogne !? À bien y réfléchir, ce n’est pas ce qu’il est en train de faire lui aussi ?
Elle tente de se ressaisir, mais ce n’est pas évident. La situation est absurde, équivoque ! On ne tombe pas ainsi dans les bras d’un parfait inconnu, surtout si l’on a déjà ce qu’il faut à la maison. Bien que… quoique… Je me laisserais bien aller, songe-t-elle, furtivement… Mais ce n’est pas possible, ce n’est pas raisonnable, surtout en public, devant tout le monde ! Ce n’est pas rationnel, pas du tout ! Cependant, elle reste malgré tout comme intimidée, tout en se sentant tellement protégée, si protégée, en sécurité.
Mais il faut que la situation cesse, c’est trop délirant, trop embarrassant. Elle voudrait pouvoir s’exprimer d’une voix ferme, mais c’est un mince filet tout frêle qui sort de sa bouche :
— Laissez-moi, s’il vous plaît !
Au son de sa voix, il frémit, il incline légèrement la tête, son regard glisse de ses yeux sombres vers ses lèvres roses qui tremblent imperceptiblement, des lèvres à croquer, une vague chaude le submerge, impérieuse, irrésistible. Il plonge dans un regard qui l’ensevelit sous une montagne d’interrogations muettes, il se sent à la fois si idiot et si puissant. Alors, il pose ses lèvres sur les siennes et lui donne le plus doux baiser qu’il n’ait jamais offert.
Un instant, puis deux… Il est redevenu un collégien lors de son premier baiser. Le temps est suspendu, les deux ou trois secondes qui viennent de passer lui semblent une éternité. Aucun cri, aucune gifle. Pas de réaction…
Grisée, perdue, l’esprit en déroute, ne pensant à plus rien, elle entrouvre alors ses lèvres, s’offre.
…
Le soir venu, à la terrasse d’un petit restaurant, ils sont attablés, l’un en face de l’autre, leurs doigts emmêlés, les yeux dans les yeux, en train de se voler mutuellement des baisers. Des baisers doux et fiévreux, pleins de tendresse et de fureur, pleins d’abandons et d’exigence, comme le tout premier. Spontané et juvénile.


